CENTIÈME ANNIVERSAIRE
DE L’ACQUISITION DE L’HÔTEL DE L’ACADÉMIE

Allocution de Simone MAZAURIC, présidente.

Jeudi 21 novembre 2019

Monsieur le Préfet du Gard Didier LAUGA
Monsieur le Préfet Hugues BOUSIGES, membre d’honneur de l’Académie
Monsieur le Maire Jean-Paul FOURNIER
Monsieur le Président de Nîmes Métropole Yvan LACHAUD
Monsieur le Vice-président du Conseil départemental en charge de la culture, Patrick Malavieille, représentant Monsieur le président du Conseil du département Denis BOUAD
Monsieur le Recteur Christian NIQUE, secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier.
Et vous toutes et tous, en vos grades et qualités.

Nous commémorons aujourd’hui le centième anniversaire de l’acquisition par l’Académie de son hôtel, un hôtel dans lequel elle s’est installée en juin 1920 et dans lequel elle n’a, depuis lors, cessé de se réunir, mettant ainsi fin à l’existence itinérante qui était la sienne depuis sa création, en 1682.

Cette itinérance a été patiemment reconstituée par plusieurs de nos confrères. Notamment par André Nadal qui a rédigé et publié une petite plaquette, L’Hôtel de l’Académie de Nîmes, à l’occasion du cinquantenaire de l’acquisition de l’hôtel. Aujourd’hui, c’est Gabriel Audisio, ancien président et actuel (pour un temps encore) archiviste de l’Académie qui vient de rédiger à son tour une plaquette intitulée L’Académie de Nîmes en son hôtel (1919-2019) que vous avez sans doute tous – ou du moins la plupart d’entre vous – reçue. Vous y avez donc déjà retrouvé ou vous y retrouverez le détail de cette pérégrination, depuis la maison du marquis de Péraud, l’un des fondateurs de l’Académie et son premier secrétaire perpétuel, maison dans laquelle notre compagnie a commencé de se réunir, jusqu’au siège de la société d’agriculture, sa dernière résidence avant son installation au 16 rue Dorée. En passant par le nouveau palais épiscopal, l’actuel hôtel de Balincourt, le palais de l’Evêché, l’hôtel de Jean François Séguier – un hôtel dont, par parenthèse, nous espérons tous qu’il redevienne enfin, comme il l’a été dans le passé, grâce d’abord à son prestigieux propriétaire, un haut lieu de la culture et de la vie savante à Nîmes – la maison Caveirac, sise au 7 de la rue Dorée, l’hôtel de la Boissière, la Bibliothèque municipale, l’Hôtel de ville, et j’en oublie.

Cette errance n’avait rien, il faut le souligner, d’exceptionnel, elle a toujours été le lot commun des académies, qu’il s’agisse des grandes académies d’Etat siégeant à Paris, du moins à leurs débuts ou des académies de province qui ont rarement possédé ou qui possèdent rarement en propre, provisoirement ou durablement, un lieu de réunion. Et c’est bien au contraire la possession d’un tel lieu qui constitue un privilège remarquable (et dûment reconnu comme tel).

Mais, puisque cet aspect de l’histoire de l’Académie est bien connu, c’est sur un tout autre aspect du rapport entretenu par celle-ci avec son hôtel que je voudrais m’attarder un peu.

Que notre compagnie ait fait l’acquisition en 1919 d’un hôtel particulier ayant appartenu au début du XVIIe siècle à Gailhard Guiran avant, au terme d’une longue histoire, de devenir la propriété d’Albin Michel, qui en a été membre résidant et qui est l’auteur de l’ouvrage – j’y reviendrai – intitulé Nîmes et ses rues. Albin Michel donc qui l’a légué à sa fille à laquelle l’Académie l’a acheté – ne peut manquer il me semble d’apparaître, je ne dirai pas comme l’effet d’une intervention providentielle – je laisserai la Providence s’occuper d’affaires plus sérieuses – mais à tout le moins comme l’effet d’une série d’heureuses circonstances.

A la fin du XVIe siècle, l’hôtel, dont on ne connaît pas la date de construction mais dont les éléments les plus anciens remontent au  XVe voire au XIVe siècle, appartient à un riche protestant, Arnaud Guiran : c’est le plus ancien propriétaire que l’on soit en mesure d’identifier. L’hôtel passe ensuite aux mains de son fils, Gailhard Guiran, jurisconsulte, avocat puis conseiller au Présidial de Nîmes avant d’être doté d’une charge de conseiller au Parlement de la ville d’Orange, une charge (largement honorifique) qui lui a été offerte par le prince Maurice de Nassau.  Gailhard Guiran était aussi et surtout un  « savant antiquaire », au sens que l’on donnait alors à ce terme, antiquaire c’est-à-dire féru d’antiquités, notamment celle de sa ville natale, auxquelles il a consacré trois ouvrages importants restés manuscrits. L’un de ces ouvrages était consacré aux monuments nîmois, le second était consacré aux inscriptions retrouvées sur ces monuments. Le troisième enfin traitait de tout ce qui concerne la « science des médailles » et se complétait du commentaire de toutes celles qu’il avait trouvées sur le territoire de Nîmes, médailles dont il avait fait, assure Léon Ménard, « une collection considérable » . Gailhard Guiran  figure ainsi au rang de ces Républicains des Lettres nîmois qui ont assuré, dès la fin du XVIe siècle, tout au long du XVIIe siècle et surtout dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la renommée intellectuelle de notre ville. A preuve, le fait que Gailhard Guiran y possède sa rue.

On sait en effet qu’en 1824, sous la Restauration, une commission spéciale, chargée par la municipalité de l’époque de dénommer les rues des faubourgs de Nîmes, a choisi de procéder à cette dénomination en les regroupant par quartier, chacun organisé autour d’un même thème : les rois de France, les empereurs romains, etc. C’est ainsi que la plupart des rues qui, en gros, vont de la place de la Bouquerie à la rue Saint-Charles portent les noms des principaux lettrés, savants, érudits, antiquaires et historiens nîmois (pour la plupart) qui ont marqué l’histoire intellectuelle de Nîmes, de la fin du XVIe siècle jusqu’à la Révolution et qui d’ailleurs, pour certains d’entre eux, ont été membres, à partir de 1682, de l’Académie. C’est ainsi que, passées les deux rues perpendiculaires l’une à l’autre : la rue Ménard et la rue d’Albenas, la rue Deyron, la rue Rulmann, la rue Baduel, la rue Graverol puis la rue Vaissette coupent perpendiculairement la rue Clérisseau, le peintre et le dessinateur des antiquités nîmoises, rue Clérisseau qui rejoint un peu plus loin la rue Guiran : nous y arrivons. Si je peux m’autoriser une notation personnelle, je suis née au 11 de la rue Gautier (qui rend hommage à un certain Henri Gautier, aujourd’hui parfaitement inconnu mais qui a bénéficié en son temps d’une certaine renommée d’abord dans le domaine des sciences puis des lettres et surtout qui a publié en 1720 une Histoire de la ville de Nîmes et de ses antiquités). Revenons à la rue Gautier, une rue qui est parallèle à la rue Clérisseau, et perpendiculaire à la rue Vaissette, et comme la municipalité qui a procédé à ce baptême des rues n’a pas jugé bon pour autant de préciser sur les plaques qui ornent ces rues, et ne serait-ce qu’à l’aide de leur prénom, qui étaient ces Gautier, ces Deyron, ces Rulmann, ces Baduel, ces Graverol, ces Clérisseau, ces Vaissette, j’ai longtemps ignoré (comme la plupart sans doute des habitants de ce quartier) jusqu’à ce que je me fasse moderniste et plus précisément XVIIiste (autre coïncidence ?) à la fois qui ils étaient et la raison pour laquelle ils étaient ainsi rassemblés. (Rassemblés avec parfois, il ne faut pas le cacher, une réelle indifférence à la chronologie ; ou avec un certain manque de rigueur : ainsi la rue Séguier, que l’on s’attendrait à trouver dans ce quartier, est en réalité très excentrée par rapport à ce dernier. Mais c’est évidemment la présence de l’hôtel de Séguier qui explique cet éloignement. Il en est de même de la rue Cotelier,  qui rend hommage à Jean Baptiste Cotelier, fils d’un pasteur qui avait abjuré et célèbre, dit Ménard, « par la profondeur de son savoir », à la fois hébraïsant, helléniste et latiniste réputé. Le caractère lapidaire de ces désignations peut générer également quelques incertitudes : ainsi, quand on découvre sur une plaque la rue Graverol, on peut se demander : de quel Graverol s’agit-il ? Du pasteur, Jean Graverol, auteur d’une Histoire abrégée de la ville de Nîmes (1703) ? ou de son frère, François Graverol, beaucoup plus connu, membre de l’Académie et, est-il besoin de le rappeler, auteur de sa devise « Aemula lauri » (émule du laurier, le laurier symbolisant l’Académie française, sur le modèle de laquelle l’Académie de Nîmes avait souhaité être créée) ? De la même façon, la rue Petit rend très certainement hommage à cette figure majeure et irénique de la République des Lettres qu’était le pasteur Samuel Petit, tandis que de son côté la rue Sorbier conserverait la mémoire de son neveu Samuel Sorbière, ce que rien il est vrai n’atteste véritablement : la dominante de l’inspiration toponymique du quartier rend toutefois ces hypothèses tout à fait crédibles.

Si je reviens à ce beau florilège de lettrés malgré tout ainsi constitué, je soulignerai simplement qu’ils sont pour la plupart d’entre eux protestants ou fils de protestants convertis, à l’exception notable de Dom Vaissette, de Ménard ou de Clérisseau mais ces exceptions, et le fait qu’elles deviennent plus fréquentes quand on se déplace vers le XVIIIe siècle, ne font bien sûr que traduire l’affaiblissement progressif de l’hégémonie intellectuelle protestante. Ils sont aussi pour beaucoup juristes de profession – plusieurs détiennent une charge d’avocat ou de conseiller auprès du Présidial de Nîmes -, ils sont souvent en même temps passionnés d’histoire et plus particulièrement d’antiquités – avec plus ou moins de bonheur – c’est le cas de Poldo d’Albenas, de Deyron, de Clérisseau, de Graverol, et de Guiran bien sûr -, et ils rappellent en tout cas le dynamisme intellectuel de notre ville durant une bonne partie de l’époque moderne. En particulier dans le domaine de l’histoire, au point que l’historien Henri Michel a pu affirmer que « les historiens nîmois ont joué un rôle non négligeable dans le renouvellement de la pratique de l’histoire en province »[1].

Mais il n’aura échappé à personne que la première patiente identification de ceux dont l’attribution d’un nom de rue a contribué à préserver la mémoire a été l’œuvre d’Albin Michel, auteur, je l’ai déjà rappelé, de Nîmes et ses rues, publié en deux volumes en 1876 et en 1877, avocat et membre résidant de l’Académie de Nîmes et avant-dernier propriétaire de l’hôtel de Guiran, à la fille duquel l’Académie l’a donc finalement racheté.  Et on peut imaginer qu’Albin Michel n’avait pas choisi cet hôtel au hasard.

Et ce n’est sans doute pas davantage par hasard que les académiciens ont choisi d’acquérir à leur tour, à la fin de l’année 1919, l’hôtel de Gailhard Guiran, dans la mesure où ils pouvaient aisément se convaincre qu’ils ne pouvaient choisir un lieu plus propre à favoriser le « commerce littéraire », c’est-à-dire le commerce savant.

C’est ce que soulignait à sa façon l’architecte départemental Max Raphel, lors de la séance du 13 juin 1919, dans son rapport destiné à persuader ses confrères de la pertinence du choix de la maison du 16 de la rue Dorée pour y installer de façon pérenne l’académie, en faisant valoir un dernier argument destiné à entraîner leur conviction : « L’antique demeure de Gailhard Guiran, concluait-il en effet, avec son parfum suranné et vieillot de Renaissance française, conviendrait parfaitement à notre compagnie ». Si j’hésiterai pour ma part à faire usage des termes de « suranné » et de « vieillot » pour qualifier l’esprit d’une période en réalité caractérisée par son inventivité, son dynamisme, sa soif de découverte, sa passion de renouvellement des sources du savoir, et sa capacité d’innovation, il est en revanche indéniable qu’en s’installant dans un hôtel particulier ayant appartenu à un « antiquaire » de la Renaissance,  l’Académie de Nîmes a renoué à son tour, par-delà les siècles, avec une tradition savante qu’elle s’attache bien évidemment à perpétuer et que le choix de cet hôtel, parfois baptisé en rappel de la devise gravée sur sa porte hôtel Ne quid nimis (Rien de trop),  se justifiait pleinement.

Cet hôtel, que l’Académie occupe donc depuis un siècle n’est pas, on le devine, resté identique à lui-même à travers le temps et notamment, depuis son acquisition : restauré, agrandi, remanié, il a subi d’importantes transformations qui n’ont pu être effectuées que grâce à la générosité de plusieurs mécènes. Dès l’origine, le commandant de Villeperdrix fait don de sa bibliothèque et permet de meubler la salle des séances. Dans les années 1960, la générosité du marquis de Lordat, notamment, a permis de réaliser certaines de ces rénovations, en particulier celle de la façade. En 1980, Jules Davé, un magistrat, fait don de son hôtel particulier, dont l’Académie tire aujourd’hui une partie de ses revenus. Depuis quelques années, c’est essentiellement à la générosité de monsieur Jacques Boissonnas, président de  la Fondation Clarence Westbury ainsi qu’à celle de Jean-Philippe André, président de la Société Haribo Ricqles Zan, ici représenté par M. Gilbert Bec, Correspondant de notre Académie, que nous devons, entre autres, la réfection récente du premier étage de notre hôtel. Nous n’oublions pas évidemment notre confrère Antoine Bruguerolle, architecte du Patrimoine, qui nous a fait bénéficier de ses compétences et de son expertise. Le nouvel aménagement de ce premier étage a été en outre rendu possible grâce à M. le maire de Nîmes qui a accepté de confier en dépôt à l’Académie les meubles qui ornent les salles récemment rénovées. Et tous ces travaux ont été réalisés, faut-il le préciser, sous la haute direction de notre secrétaire perpétuel, Alain Aventurier, qui veille avec une attention jamais en défaut au bon entretien de cette demeure.

Grâce à eux tous, nous avons donc le privilège de nous réunir dans ce très bel hôtel et nous sommes en mesure de léguer à nos « neveux », comme l’on disait au XVIIe siècle, un patrimoine dont on peut espérer qu’ils assureront à leur tour la conservation et perpétueront la fonction. C’est le vœu qu’en conclusion je formule.


[1] Michel Henri, « Nîmes et son histoire à l’époque moderne », dans : Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, Tome 110, N°221, 1998.