Eva AEPPLI au Centre Pompidou
Véronique Richard-Brunet, de l' Académie de Mâcon
C’est dans le très beau Musée Pompidou de Metz, conçu par Shigeru Ban, Philip Gumuchdjian, et Jean de Gastines, situé à deux pas de la gare de Metz-ville, construite en 1903, dont la haute valeur architecturale et décorative lui a valu un classement aux Monuments historiques en 1975, que l’on peut découvrir l’oeuvre d’une artiste peu connue, Eva Aeppli.
Le mouvement d’ouverture à l’histoire de l’art féminin, initié au début des années 2000, et que l’exposition récente de Bâle, intitulée Close Up, à la Fondations Beyeler, a retracé en présentant les oeuvres de Berthe Morisot, Marie Cassat, Paula Modersohn, Frida Kahlo, Alice Neel, Marlène Dumas, Cindy Sherman, Elizabeth Peyton, nous offre de fabuleuses révélations. Comme ces artistes, Eva Aeppli occupe une position éminente et exemplaire dans l’histoire de l’art car elle a élaboré une oeuvre de qualité à une époque, les années soixante, où la condition des femmes artistes était encore difficile, malgré une évolution sociétale plus favorable au statut de la femme. Comme sa production, malgré sa richesse, n’a pas été consacrée par les historiens de l’art, et qu’elle a été peu diffusée ces dernières décennies, les commissaires d’exposition Chiara Parisi et Anne Horvath, ont souhaité la mettre au devant de la scène dans un lieu ouvert au grand public.
Née en Suisse en 1925, Eva Aeppli grandit à Bâle où elle suit l’enseignement anthroposophique du maître Rudolf Steiner, qui marque en profondeur sa réflexion sur l’art, tout comme la progression nazie à travers l’Europe après 1934, engendrera un traumatisme durable. Eva Aeppli s’engagera plus tard en créant une fondation (Myrrahkir Foundation, basée à Omaha) combattant l’oppression et la pauvreté. L’universalité de la condition humaine, constitue le dénominateur commun de chacune de ses créations. En effet, Eva cherche au-delà de la représentation des corps et de l’existence sociale, aliénante, l’intériorité essentielle de l’être humain, l’essence de sa nature.
L’exposition permet de découvrir comment le regard des femmes artistes a évolué dans une période marquée par la guerre mais aussi par la domination de la science et du commerce, en s’y réflétant selon leur propre perception du monde. A cet égard, l’oeuvre d’Eva Aeppli révèle un esprit singulier, qui ne se conforme pas aux théories esthétiques du moment ; Eva trace sa propre voie, à partir de ses thèmes fétiches et de ses inventions plastiques qui caractérisent un art affranchi, transcendant. Eva Aeppli se présente en « consultante en Wouzi et Wouzi-Wouzi », « Philosophe », « Professeur de vie » ou encore en « Acrobate entre Ciel et Terre » .
Sans doute l’oeuvre de son mari, Jean Tinguely, qui rejoindra le groupe des Nouveaux Réalistes en 1960, a quelque peu occulté la sienne. Les rencontres et projets de ses amis Daniel Spoerri, Jean Tinguely, Niki de Saint Phalle, Jean Pierre Raynaud ou encore Pontus Hultén – sont consignées dans ses Livres de vie où elle accumule entre 1954 et 2002, près des photographies de ses oeuvres, la correspondance avec son entourage. Ces carnets nous montrent le monde complexe d’Eva Aeppli, qui s’engage aussi dans des collaborations artistiques, que l’exposition met en scène.
On y voit les créations de son mari, de ses amies Niki de Saint Phalle, Louise Bourgeois, Annette Messager ou encore Sarah Lucas, avec lesquelles elle partage le même goût pour les moyens d’expression anti conventionnels. Dans ce parcours alternent des compositions à l’huile emplies d’émotion, et des figures textiles revêtues de mystère. Ces sculptures à taille humaine, extensions de ses peintures, sont réunies dans de grandes installations, la plus remarquable étant sans doute La Table, le Groupe de 13, ou encore Groupe de 48, chargé d’émotions. Eva Aeppli exposera en 1976 à la Biennale de Venise et à l’ARC à Paris. Cette année là, elle renonce au corps pour se concentrer uniquement sur les visages et les mains de ses sculptures. Les cycles des têtes – Les Planètes (1975 -1976), Les Signes du Zodiaque (1979 -1980), puis Quelques Faiblesses humaines (1993 -1994) – sont réalisées en soie puis coulées en bronze. Une évolution qui offre une grande expressivité à son oeuvre à laquelle le public du Centre Pompidou se montre sensible.
« Cette première rétrospective consacrée en France à Eva Aeppli invite à découvrir la gestation de son oeuvre cousu, où s’exprime l’apogée de son art. Dans son « musée sentimental », à l’instar de celui créé par Daniel Spoerri au Centre Pompidou en 1977, ses oeuvres dialoguent avec celles de son cercle proche, de ses influences fantasmées mais aussi de ses successeurs. (…) Chacune de ses figures textiles – saisissantes par leurs cris silencieux, leurs traits épurés et pourtant éminemment expressifs, leurs cicatrices dessinées par les coutures – submerge le regardeur de sentiments ambivalents, cette confrontation ne le laissant pas indemne. Mis en scène par Jean Kalman, le parcours se fera l’écho des dualités qui traversent l’oeuvre et la vie de l’artiste. »